Entretiens : La couverture médiatique dans la presse écrite belge francophone des rapatriements des enfants et femmes des djihadistes belges après la chute du Califat de Daesh .

« There is no trust more sacred than the one the world holds with children. There is no duty more important than ensuring that their rights are respected, that their welfare is protected, that their lives are free from fear and want and that they can grow up in peace » ~ Kofi Annan



Le rapatriement des djihadistes belges après la chute du califat de Daesh constitue un sujet d’étude controversé et profondément pertinent dans le contexte actuel. Le grand spécialiste de l’islam et du monde arabe contemporain Gilles Kepel décrit une nouvelle forme de djihadisme, il l’appelle un « djihadisme d’atmosphère ». Ce dernier se caractérise par la culture des réseaux sociaux et des liens lâches voire inexistants, avec une organisation terroriste, à la différence des terroristes qui ont opéré en Belgique (et en France) entre 2014 et 2019 (Garapon, A.2024). Depuis la défaite territoriale de l’État islamique en 2019, la question du retour de ces individus, souvent perçus comme des parias ou des menaces, a provoqué un débat intense et polarisé dans la société belge. 

Cela étant dit, le rapatriement des enfants et des femmes de ces djihadistes belges s’est imposé comme un autre enjeu plus délicat et complexe, soulevant des questions cruciales à l’intersection du droit, de l’humanitaire, de la sécurité nationale et des valeurs morales.

Nous tenons à préciser que ce travail présente des chiffres qui sont principalement liés aux rapatriements des enfants, souvent avec leurs mamans, malgré que la séparation de leur maman constitue une violation de leur droit et surtout de leur intérêt général, dans certains cas cela a été le cas.

La presse a joué un rôle crucial dans l’évolution de l’opinion publique et dans l’orientation des discours politiques, bien que nous ne nous puissions pas imputer uniquement à la presse une influence ou un impact sur le public ou le politique. Leur conscience du phénomène et leurs prises de position ont toujours été multifactorielles.

Ce mémoire s’inscrit dans une démarche d’analyse quantitative des deux grands journaux de la presse écrite belge francophone : LeSoir et LaLibre entre 2018 et aujourd’hui, dans le cadre de cet exercice, nous nous sommes délimités à un corpus qui ne constitue certainement pas l’entièreté des productions médiatiques sur le sujet. La RTBF, Paris match, RTL et surtout la presse flamande (DeMorgen et autres) se sont penchée sur la question et se sont aussi rendue sur le terrain. Une conclusion générale d’après nos entretiens et nos discussions en off : l’approche du sujet, les sources, le traitement de l’information étaient quasiment similaire dans tous les médias belges. L’analyse qualitative à l’aide d’entretiens libres vient ici complémenter l’analyse textuelle. Nous proposons de donner un aperçu de la manière dont ces rapatriements ont été évoqués, des traitements de l’information privilégiés ainsi que l’éthique journalistique dans la couverture de ce sujet complexe. Nous visons enfin à offrir des pistes de réflexion sur les pratiques journalistiques ainsi que l’importance du travail sur le terrain.

Il va de soi que le choix du sujet découle d’une sensibilité particulière, mais toutes les précautions seront prises afin de garder une certaine distance objective qui est de mise pour un travail de la sorte.

Bonne lecture !



Contexte et frise chronologique

À partir de 2013, des centaines de citoyens belges ont quitté leur pays pour rejoindre les zones contrôlées par l’État islamique en Syrie dans les deux camps de Al-Hol et Al-Roj (Fig 1).

Parmi eux, de nombreuses femmes et enfants, souvent emmenés par leurs maris ou pères combattants, ont été exposés à la vie sous le régime extrémiste du califat autoproclamé.

Le rapatriement des enfants et femmes de djihadistes en Belgique s’est imposé après la chute territoriale du Califat de Daesh, notamment avec la reprise de Raqqa en 2017 et la défaite finale à Baghouz en mars 2019.

Fig 1 : Cartographie montrant les deux camps Al-Roj et Al-Hol (Hassan, 2022)

Le débat en Belgique sur la manière de gérer les rapatriements des enfants et des femmes des djihadistes continue jusqu’au aujourd’hui. Les enjeux de sécurité nationale, les droits des enfants, et les obligations humanitaires restent au cœur des discussions, tandis que les opérations de rapatriement se poursuivent au cas par cas.

L’évolution des décisions politiques favorables à ces rapatriements a évolué, passant d’une réticence initiale à une gestion plus proactive et humanitaire. Selon les informations et chiffres officiels, le rapport de l’association S.A.V.E Belgium avons résumé cette évolution dans une frise chronologique comme suit :


Fig 2 : Frise chronologique de l’évolution des rapatriements des enfants et femmes des djihadistes après la chute du Califat de Daesh

Problématique et hypothèses

A)   La presse écrite belge a alerté sur la situation humanitaire dans les camps de Al-hol et Al-roj, ce qui a conduit a une évolution dans la prise des décisions politiques.

B)   Le travail collaboratif des journalistes et des associations sur le terrain a été crucial dans le cadre du rapatriement des enfants et femmes des djihadistes.

D’après nos quatre entretiens libres avec Louis Colart (LeSoir), Christophe Lamfalussy (LaLibre), Bernard de Vos (DGDE) et Saliha Ben Ali (S.A.V.E Belgium) nous pouvons déduire l’analyse suivante :

1. Accès à l’information fiable et vérifiée

  • Journalistes : Le déplacement de Louis colart et Christopher Lamfalussy avec son équipe sur les deux camps de Al-Roj et Al-Hol, dans des conditions contrôlées (et à l’aide d’un fixeur) a joué un rôle clé en recueillant des informations fiables sur la situation des femmes et des enfants dans ces deux camps : situation humanitaire dans une région dangereuse et politiquement instable. Ils offrent des témoignages de première main (Colart, 2020) et des récits poignants (Colart, 2020b) documentant les conditions de vie, les traitements subis, et les risques encourus. Ces informations ont été essentielles pour sensibiliser le public et influencer les décisions politiques en matière de rapatriement.

 

  • Associations : S.A.V.E Belgium et Child Focus ainsi que le DDGE ont été en vrai les précurseurs dans la récolte et le traitement des informations (S.A.V.E Belgium, 2020) sur le terrain ils ont noué des contacts directs et humains avec les personnes concernées. Elles sont capables de fournir des informations détaillées et actualisées sur l’identité des enfants dans les deux camps et des femmes, leur état de santé, ainsi que les besoins spécifiques liés à chaque situation, au cas par cas.

2. Plaidoyer et sensibilisation

  • Journalistes : Grâce à leurs reportages, Louis Colart (LeSoir) et Christophe Lamfalussy (LaLibre) ont donné une fenêtre aux contributions externes (Externe & Externe, 2019). Leur rôle dans la sensibilisation du public ; réticent à l’époque, a contribué grandement dans les décisions politiques. En mettant en lumière les conditions de vie déplorables dans les camps et les violations des droits de l’Homme, les deux journalistes ont relaté aussi les sanctions internationales envers la Belgique. La simple condamnation n’a en vrai pas eu beaucoup d’impact, mais le faite de le relayer, a obligé une réponse dans une optique de communication de crise (Entretien avec Christophe Lamfalussy). Nous déduisons qu’ils ont finalement exercé en quelque sorte une pression sur le gouvernement pour qu’ils agissent en faveur du rapatriement.

  • Associations : S.A.V.E Belgium a mené une campagne de plaidoyer, basée sur les informations fournies par les journalistes, mais aussi sur le terrain (Saliha Ben Ali, elle-même affectée directement par le terrorisme, elle a retracé le chemin vers les camps de Al-Hol de la Belgique) pour influencer les politiques publiques. Ils ont également essayé d’intervenir juridiquement pour défendre les droits des enfants et des femmes belges détenus à l’étranger (Colart, 2020a).

3. Soutien logistique et humanitaire

  • Associations : Les ONG sur le terrain fournissent une aide humanitaire directe, comme des soins médicaux, de la nourriture, et un soutien psychologique aux femmes et enfants en attente de rapatriement (S.A.V.E Belgium). Elles ont joué un rôle dans l’organisation pratique du rapatriement, en coordination avec les autorités belges.

  • Journalistes : Bien que leur rôle soit moins direct en termes de soutien logistique, les reportages (Lamfalussy, 2018) peuvent attirer l’attention sur les besoins urgents de ces enfants et femmes mobilisant ainsi l’aide internationale ou les ressources locales pour leur assistance (Entretien avec le DDGE, Bernard de Vos)

4. Garantie des droits de l’homme

  • Journalistes : En documentant les violations des droits de l’Homme dans les camps de détention, les journalistes contribuent à la responsabilisation des autorités locales et internationales. Leur travail aide à garantir que les droits des enfants et des femmes, y compris leur droit à un procès équitable ou à un traitement humain, sont respectés.

  • Associations : Elles veillent à ce que les rapatriements se fassent dans le respect des conventions internationales, en s’assurant que les enfants soient protégés et que les femmes ne soient pas exposées à des traitements inhumains ou dégradants.

5. Documentation historique et mémoire collective

  • Journalistes : Le travail des journalistes aide à la documentation historique de ces événements complexes. En consignant les histoires individuelles et collectives, ils participent à la création d’une mémoire collective, essentielle pour comprendre les défis posés par le terrorisme et ses conséquences.

  • Associations : Les associations peuvent aussi contribuer à la documentation et à l’analyse des données pour améliorer les politiques futures en matière de rapatriement et de réinsertion.

En conclusion :

       Les journalistes et les associations sur le terrain ont joué des rôles complémentaires et essentiels dans le processus de rapatriement des femmes et des enfants de djihadistes belges. Leur travail sur le terrain permet de garantir la transparence, de mobiliser l’opinion publique, et de s’assurer que ces opérations respectent les droits humains tout en répondant aux besoins urgents des personnes concernées. 

La dualité dans la couverture médiatique reflète les tensions existantes au sein de l’opinion publique et des instances politiques belges. Elle illustre également comment les médias peuvent jouer un rôle crucial dans la formation des perceptions collectives sur des sujets sensibles et polarisants. L’analyse a aussi mis en lumière le travail faramineux de l’associatif, les entretiens confidentiels que nous avons eu et surtout les conversations en off, nous a montré que le travail sur le terrain, les conversations « after-work », le partage des contacts et des carnets d’adresses constituent une grande partie du journalisme et surtout de la presse écrite et de la manière comment elle a construit le discours public sur le terrorisme et ses conséquences, tout en offrant une base pour des recherches futures.

Enfin, pour conclure, nous aimerions citer une pharse d’Hervé Bruisini avec qui nous avons eu une conversation légère lors des assises du journalisme à Tours en 2023 , il citait Eugène Dubief, ce dernier écrivait ces quelques lignes en 1892 :

 « Un épervier indicible de conduits électriques enserrera le globe. Les nouvelles afflueront au cabinet du journaliste, comme par autant de filets nerveux. Moyennant l’abonnement le plus minime, le citoyen du XXe siècle pourra évoquer devant lui un diorama (les images) vivant de l’univers et être sans cesse en communion avec le genre humain… Et ce sera si beau, le journalisme se sera si bien perfectionné, qu’il n’y aura plus de journalisme »





 

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